J'ai imaginé une rue habitée où chaque entrée serait vivante de ces hommes qui poussent les portes. Où le crépi des murs, jouxtant les lieux communs, serait raffistolé de temps en temps. Car il y aurait toujours quelqu'un pour rallonger son chez-soi jusqu'au dehors de tous.
J'ai vu une vieille dame mettre quelques gouttes d'huile de paraffine aux gongs, dehors.
Au dessus de la rue qui monte il y a le marché bondé de gens sains, robustes et heureux.
Aucun no'man's'land, si petit soient-ils. Aucun terrain vague vaguement inquiétant. Mais des vergers, des ruelles joyeuses et sincères. Des arbres fruitiers et des vignes ruisselantes de lumière et de fruits.
Un portail en fer forgé que l'on ouvrirait souvent et facilement parce qu'on l'ouvrirait souvent facilement. Il mènerait à un jardin extraordinaire qui resterait dans le souvenir comme une goutte de rosée sur une feuille. Les mômes le passeraient en riant pour piquer des pêches mures ; se faire piquer des abeilles.
Une rue anti télé où les yeux des uns seraient dans ceux des autres.
Mais je m'arrête là. Le portail est délabré, plus personne depuis bien longtemps n'a tourné sa poignée, rouillée, cassée. Aucun rire courant ne l'a chahuté ; personne ne l'a claqué sous un printemps joli, depuis belle lurette. Et la rue est lourde, et la rue est sourde...Et la rue est irrégulière et nous calcule froidement, la démobilisation, l'anarchie tacite des gens propres sur eux, propres chez eux. Le démembrement de l'architecture, corrolaire de leur social technologie se voit dans la tronche des gens perdus - d'ici - mais d'ailleurs, d'ailleurs, mais d'où ? Et puis les pavés de trottoir qui n'ont même plus de relation avec les murs, avec sa venelle qui la touche. Parce que maintenant, la société nous couvre en gueulant fort. Parce que maintenant la société a miné nos valeurs de proximité. Notre raison d'habiter et de vivre dans la rue.
Mais ...."Pavé", c'est un joli mot, ce mot-là, ce mollard qui dans son champs sémantique en a un qui s'emballe.
Il n'est pas parfait, mais quel passé. Et celui-là, au moins, il vole.
1994
6 commentaires:
magnifique, merci
Merci. D'aussi loin que je me souvienne, c'est bien le premier texte que j'ai écrit. Je l'aime bien.
Le sirop de la rue---
Cavanna, Doisneau, Renaud,Châteaubriant sur ses remparts, les mots chauds, les mots lourds de senteurs et toi et nous tous qui aimons la Vie et ressentons le spasme de vivre.
"Tous les murs finissent en poussière". Pierre Delorme.
Tient au fait, le téléfilm de hier... pas mal. Mais comme je suppose que le livre est mieux ; tu peux me rappeler le titre et l'auteur ?
Raboliot. Maurice Genevoix.
Super, je commande ça. Eh ! on sort de ce télefilm avec l'envie de bouffer du flic. Le flic dans l'histoire il est con comme un manche à balai et je m'excuse pour le manche à balai.
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