Un texte pour l'émission Bloga-bloga. Dernière émission de l'année.
Vous avez entendu parler des apéros géants Fesses de bouc qui pullulent en ce moment à travers la France ? Il y a quelques temps, je racontais sur mon blog comment j'avais ouvert un compte. Je l’ai éliminé dés le lendemain, effrayé par le bandeau de pub incontrôlable sur la page de garde, par le fait que je commençais à avoir des amis que je ne connaissais pas, ce qui m'est apparu comme quelque chose de totalement absurde, effrayé également par le temps que ça allait me prendre, effrayé enfin par cette fausse odeur d’excrément filtrant des fesses de ce bouc aux poils de pixels mal brossés.
Mais quid des apéros géants Fesses de bouc ? Quelle est la singularité de cette "manifestation" ? Des utilisateurs Fesses de bouc se donnent rendez-vous à un endroit précis, pour boire un coup. Ils s'ébahissent de constater qu'on peut se retrouver à un endroit pour trinquer, qu'il y ait des milliers d'individus et que personne ne soit responsable de ce qu’il se passe. En même temps, ce n’est pas très grave parce que justement la caractéristique principale est qu’il ne s’y passe rien. Quel exploit ! Les apéros Fesses de bouc, presque aussi nul que les fêtes de Bayonne. Le vide absolu. Manque plus que la corrida pour pencher du vide, vers l'abrutissement. Le vide en principe c'est plutôt neutre. On attend, tel un funambule, qu’il se casse la gueule du côté obscur de la force ou vers la plus pure intelligence. Mais il faut du talent pour tomber comme un chat ou comme un funambule. A Bayonne tous les chats sont gris et les funambules s’enfilent, se retournent à Pôle Emploi…. Euh ! pardon ! Je voulais dire les funambules, sans fil, se retrouvent à Pôle Emploi !
Pour vous démontrer l’inanité de ces rassemblements voilà un type qui parle à un autre dans un apéro géant fesses de bouc, "
Hé t'as vu, tout ce monde sur la place, c'est génial non ? On sait pas par qui c’est organisé, c'est génial, on a rien à se dire c'est génial hein ? C’est pas Jean-Pierre Mirande là-bas ? Té pour fêter ça on boit un coup, c’est génial ". J’appelle ça un imbécile heureux ! Un peu comme la première personne qui a parlé au téléphone à fin du 19 ème siècle. Ça donnait à peu prés ça : «
Allo ? Tu m’entends ? Je t’entends ! C’est formidable ! Parle voyons, dis n’importe quoi ? Comment ? Jean-Pierre Mirande ? Oui ça c’est vraiment n’importe quoi, mais c’est génial ! On dirait que t’es à côté, tu vas bien ! Bon je te rappelle quand j’ai rien à te dire ».
Aujourd’hui, c’est le portable qui prend ce rôle là : «
Allo, tu es où ? Ici à côté, Ah ! Je te vois, attends, oui attends… Euh ! il y a un type qui me gêne, Jean-Pierre Mirande ! Oups pardon, excusez-moi, allo »…. On a rien à se dire mais on est content.
Quelqu'un me disait, toi t'es chiant, tu veux mettre du sens partout. Mais si nous on ne met pas du sens dans les choses, c’est les choses aux bottes de la puissance économique, des forces technologiques qui nous colleront leur sens unique ou leur unique sens.
Qu'est-ce qui fait qu'une oeuvre d'art est une oeuvre d'art ? La volonté tout simplement. Marcel Duchamps en exposant un urinoir en 1917 illustre bien cette idée. Duchamps nous invite en quelques sortes à regarder la réalité différemment. Un peu comme le professeur dans le Cercle des poètes disparus, M. Keating qui demande à ses élèves de monter sur la table pour regarder le monde sous un autre angle. Hier, je regardais un tas de bois je l'ai trouvé magnifique. Il ne s'agissait pourtant que de vieilles branches mortes tombées des arbres et que j'ai mises en tas. Superbe ! Tout d'un coup je me suis dit que je pourrais transporter ça tel quel, à une prochaine exposition de "Regard sur l'art en Soule" ; ça le ferait grave, sur le parquet flottant et vernis de l’expo.
Un enfant va vous coller quelques machins, pour vous, c'est un tas de déchets. Pour l'enfant, ça a du sens, parce qu’il est un être entier, parce qu'il sera capable de vous expliquer ce qu'il vient de faire, ou tout simplement parce que ça vient directement de l’échange qu’il a avec ce qui l’entoure.
En fait, ce que je veux dire, c'est qu'il faudrait presque rien pour faire de ces apéros géants débiles quelque chose d'humoristique, d'artistique, de phénoménal. Seulement, faut pas demander aux adolescents (je l’ai été je sais de quoi je parle) d'inventer le fil à couper la mayonnaise. Un adolescent, ce n'est plus un enfant, et pas encore un adulte. Il est en quête de sens. Mais nous on va quand même pas s'extasier sur une connerie d'adolescent ???
A l'heure où la démocratie est en panne, où l'art populaire n'a plus de sens, ou la religion est dévoyée et souillée de son premier objectif qui est de relier, où les syndicats et les partis politiques sont gérés par des élites désertés par la population, pour moi, les apéros géants Fesses de bouc montre une humanité fière d'elle même, de sa technologie, et du vide qui l’habite. C'est narcisse se regardant dans le miroir de l'eau tout en se tapant un coup de marteau sur la tête.
Mais je me prends à rêver... Et je répète, il ne suffirait de presque rien…
il ne suffirait de presque rien… peut-être 10 années de moins, pour que je te dise je t'aime. Que je te prenne par la main Pour t'amener à Saint-Germain T'offrir un autre café crème... Je m'égare ! il ne suffirait de presque rien, un coup de Trafalgar qu’on ne peut pas espérer du cerveau asphyxié d’un ado resté trop longtemps lové dans le trou du cul de ce bouc qui n’a rien d’un vrai bouc de chair et d’os et qui puerait d’une vraie odeur de vraie merde. Je rêve mais au fond, je ne crois pas que la technologie nous apportera ce supplément d’âme, ce bénéfice de folie qui pourrait transformer un regroupement aléatoire sans queue ni tête en une intervention artistique, ou même un gros point d’interrogation assumé qui serait plus plein de sens que ces apéros fesses de bouc.
Je lancerai bien un appel sur Fesses de bouc ... On se retrouve au château fort de Mauléon la nuit du 25 au 26 juillet à 3 h du mat, nuit de pleine lune. Tout le monde regarderait le ciel, sans s'arrêter de marcher dans tous les sens. Ça ferait un peu bizarre, comme les fourmis d'une fourmilière prises de panique. Ceux qui le veulent pourront faire des échanges de phéromones. Et en marchant, on parlerait du ciel, ce qu'il nous vient par la tête, ce que nous inspire le firmament dans le dénuement de cette nuit vibrante de la lumière opalescente du merveilleux disque lunaire. Et après on boira un coup. Ça aurait de la gueule non ?