mercredi 6 janvier 2010

"Bidoche" de Fabrice Nicolino

Il s'agit d'une intervention que j'ai faite hier dans l'émission radio Bloga-bloga. Un spécial (mal) bouffe avec Etienne Boyer, Allande Erreçaret et notre invité, Thomas Erguy coordinateur de l'association BLE (Lurraren Biharko Elkartez). Vous trouverez toutes les interventions de l'émission et même écouter ou réécouter l'émission si vous l'avez manqué sur le blog de l'émission.

Quand le mois dernier nous avions décidé de préparer un spécial (mal) bouffe, en vue des fêtes de fin d'année, j'ai tout de suite pensé au bouquin de Fabrice Nicolino qui a pour titre « Bidoche ». J'en avais entendu parler à la radio, dans les journaux et sur le web. Pour vous, petits veinards, auditeurs de Bloga bloga, j’ai lu le livre et je vais vous en parler.
Bidoche ! Déjà le titre annonce la couleur, rouge et dégoulinante des milliards d'animaux sacrifiés. Oui des milliards. Chaque année, rien qu’en France, on tue plus d'un milliard d'animaux domestiques.
Qu'est-ce que cherche à nous dire Nicolino ? Il pointe le doigt sur le système fou, industriel qui a poussé l'agriculture vers un cul de sac depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Produire toujours plus de viande, toujours moins chère. Et cette agriculture est responsable aujourd'hui des excès les plus vils. On pense aux OGM, aux pesticides. On a entendu parler des porcheries en Bretagne et des algues vertes, de certains élevages, véritables camps de Concentration pour animaux. Un exemple les poules pondeuses qui vivent dans des bâtiments sans fenêtre où l’on empile sur 3 à 6 étages de cages remplies de poules . On peut rassembler en un seul lieu 90 000 poules. Elles disposent pour chacune de l’équivalent d’une feuille de papier A4 nous dit Nicolino. Ne parlons pas des gavages d’oies. Un projet délirant, Le clonage d’animaux. Un projet génial, la viande sans animal qui serait créée par « prolifération de cellules autour de microstructures ». Euh ! Quand je dis « génial », c’est une antiphrase, bien sur. Ça me fait penser aux savants fous qui imaginent des plantes transgéniques qui pourraient pousser dans le désert, ou ceux qui réfléchissent à une émigration sur Mars. Comme ils contribuent eux-mêmes à étendre le désert ici, on peut dire qu’ils sont prévoyants, les cons. Dans les excès les plus vils on pourrait rajouter la disparition des petites exploitations agricoles et aussi la qualité des « produits », mais on ne va pas alourdir le sujet, ce n’est pas tellement l’objet de ce livre.
Oui, je parlais de camps de Concentration pour animaux. Justement, Nicolino nous parle de Jacques Dérida un philosophe qui ose prononcer le mot de génocide à propos des animaux domestiques. L’auteur de Bidoche nous parle aussi de Descartes qui ne voyait dans les animaux que des machines. Mais, plus intéressant, un certain Olivier de Serres qui créa en 1539 une ferme modèle et qui écrivit un livre « Théâtre d’agriculture et mesnage des champs » exprime apparemment une vision assez intéressante que nous avions il y a longtemps à l’endroit des animaux d’élevages.
Mais quel est le problème de l’élevage moderne ? Pour faire pousser plus vite nos veaux, vaches et cochons, l'industrie de l'élevage importe 80 % des protéines qui leur sont destinées, essentiellement du soja venu d'Amérique latine. De plus en plus de soja OGM. Et pour produire ce soja et étendre les superficies il faut chasser la forêt et leurs occupants. Notamment les indiens Guarani en Argentine qui sont chassés par l'armée pour faire place à la culture du soja. Au Paraguay il suffit de deux personnes pour "gérer" 1000 hectares de soja. Voilà pourquoi Fabrice Nicolino en sous-titre de son livre dit que l'industrie de la viande menace le monde.
Mais le plus cruel, le plus terrible, c'est que la viande n'est pas indispensable. Grâce à une alimentation variée, on peut très bien se passer de viande et de poisson. De toutes façons, nous ne pouvons, nous ne pourrons pas tous manger de la viande. Il faut 7 à 9 calories végétales pour obtenir 1 calorie animale. Pour dire que la consommation de viande telle qu’elle est aujourd’hui entraîne un gaspillage d'énergie qui n'est pas tenable à l'heure où l’on annonce que nous passeront en 2050 à 9 milliards d'habitants sur la planète. André Mery dans son livre et en commentant ce chiffre (j’en reparlerai tout à l’heure) dit que « même sans un brin de morale, le seul point de vue de la logique économique imposerait de renoncer à passer par l’animal pour se nourrir ; mieux vaudrait, de façon plus efficace et profitable, tirer sa subsistance directement du monde végétal. »
Quelques chiffres glanés dans ce livre.
Au total, entre 75 % et 80 % des terres agricoles américaines sont utilisées par ou pour le bétail. Le professeur David Pimentel estimait que les céréales distribuées au seul bétail américain seraient suffisantes pour nourrir 800 millions d’humains.
L’élevage à lui seul consommerait 45 % de toute l’eau destinée à la production d’aliments. S’il faut 25 litres d’eau pour produire 100 grammes de blé, il en faut, selon les estimations, entre 15 000 et 25 000 pour obtenir 100 grammes de bœuf. Entre 500 et 1000 fois plus.
Au passage, un petit mot au sujet de l’église catholique très populaire par ici. Il se trouve qu’elle a joué un rôle important. Autrefois le taureau était vénéré, adulé à travers les siècles. Il fut désigné par l’église comme un monstre, comme le démon, le diable lui-même. Petit aparté, c’est la même chose qui est arrivé à l’ours. Nos ancêtres le vénéraient - notamment les basques - il était le roi des animaux en Europe, jusqu’à ce que l’église le détrône au profit du lion. Qui a dit que l’église n’était pour rien dans le délire productiviste dans lequel nous vivons et dans l’attitude hautaine que nous prenons vis à vis du monde animal ? Bon c’est une autre histoire et je referme ma parenthèse mensuelle consacrée à l’église catholique.
Ce livre en tous les cas, nous met le nez dans notre responsabilité. Peut-être pose-t-il la question de l’humanisme au final ? Ce qu’explique le livre, c’est que jusqu’à présent, depuis la seconde guerre mondiale, qu’ils soient de droite ou de gauche, pour nos hommes politiques, l’humaniste c’était l’homme pour l’homme, l’homocentrisme productiviste. D’ailleurs, Nicolino parle d’Edgard Pisani, ancien ministre de l’agriculture. Ça m’a intrigué ça. Pisani fait figure de sage, aujourd’hui, il a même été le parrain de Lurrama le salon agricole du Pays-Basque, en 2006… Pourtant, Nicolino décrit Pisani comme un chantre de l’usine à viande et un productiviste forcené. Alors, je m’interroge sur le choix des animateurs de Lurrama.
Personnellement, je suis persuadé que le vrai humanisme est celui qui se penchera sur le sort de ces milliards d’animaux qui sont liquidés années après années, pour satisfaire notre gloutonnerie et notre délire de supériorité. Au programme, je vois bien, abolition des élevages industriels et réduction significative de notre consommation de viande et de poisson. Alors, à ce moment-là, je pense que nous serons en bonne voie pour devenir enfin, des humains humanistes.

« Bidoche : l’industrie de la viande menace le monde » de fabrice Nicolino aux éditions LLL (Les Liens qui Libèrent) En vente chez Allande Etxart au magasin Herri Ekoizpen, place des allées à Mauléon


Le blog du livre : http://bidoche.wordpress.com

4 commentaires:

Dupdup a dit…

Il serait si précoce que ça Olivier de Serres ? Il aurait créé sa ferme en 1539, l'année de sa naissance ?
Son livre, "théâtre d'agriculture et mesnage des champs" a été écrit bien plus tard, en 1600 (je le sais car c'est une date facile à se rappeler).

Lurbeltz a dit…

Ben oui, je me suis planté dans les dates... On m'a dit qu'il y avait trop de chiffres dans ce texte.

Colette Pince a dit…

Je ne connaissais pas le blog. Une amie - fan comme moi de Nicolino - est tombée (!) sur l'émission et m'a demandé de rechercher l'identité de celui qui présentait "Bidoche". Je voulais imprimer le texte pour elle... et je n'y parviens pas. Y a-t-il une raison ?

Mais l'essentiel est que nous soyons nombreux à encourager à la consultation de ce magnifique pavé.

Une extra-terrestre (végétarienne qui plus est) bien triste non de l'être, mais de constater la lenteur de la prise de conscience...

Bravo pour l'émission !

Colette Pince

Lurbeltz a dit…

Si vous m'envoyez votre adresse électronique, je peux vous faire parvenir le texte au format PDF
l.caudine@wanadoo.fr