mardi 2 août 2011

JEANNETTE & PORFIRIO

En raison de la disparition de Porfirio le 31 juillet 2011 à l'âge de 96 ans, je remets ce texte que j'avais écrit en 2008.



Maurice s'est toujours posé des questions sur l'univers. Quand il était petit, déjà, il rêvait qu'il traversait le cosmos et qu'il arrivait au bout de l'infini, jusqu'au moment où son pied se balançait au bord d'une falaise, à l'entrée d'une mer noire comme un ciel d'orage cataclysmique. Mais ce jour-là, il ne pensait pas à l'intergalactique d'en haut, mais à celui d'en bas et en particulier au système solaire de jeannette et de Porfirio.
Jeannette et Porfirio habitent près de l'ancienne caserne des pompiers, vous savez, au bout de la rue du Saison. Une petite bâtisse minuscule, "frappée d'alignement" comme on dit en langage urbanistique. C'est un genre d’abri - attention - pas "de rien du tout". Justement « UN ABRI DE TOUT ». Devant, il y a un platane à qui on a coupé les ongles et dont il ne reste que des moignons. Dans le dos de cette maison se trouve celle de Maurice, du côté du boulevard Gambetta, qui regarde la fromagerie des Chaumes dont les vapeurs capiteuses lui font ouvrir grande sa porte comme une gueule affamée. Et collé à la maison de Maurice, dont la porte d'entrée donne aussi sur le boulevard Gambetta, habite un déluré, Jef, un djeuns qui collectionne les intégrales DVD de la série TV Prison break, surfe sur le net et fait la teuf plus souvent qu’à son tour.
Les trois maisons s'ignorent "superbement" et chacune aurait pu être dans trois lieux différents - qui à Napplouse, qui à Bermingham, qui à Hong Kong - qu'il n'en aurait pas été autrement. Le toucher des moellons sur les moellons, la peinture de l'une flirtant avec celle de l'autre, rien à faire, les trois maisons et leurs occupants vivent dans des galaxies opposées.
Un jour, pour une histoire de gouttière cassée et dont l'eau tombait directement contre le mur de sa cuisine, Maurice se rendit chez jeannette et Porfirio. Il fut invité à boire un café. Et les jours qui suivirent, en écoutant le vieux couple aux noces de diamants, dans ce minuscule antre, il découvrit rien moins que les mystères de l'univers. Il en oublia totalement le problème de la gouttière et l’eau continua de couler contre sa cuisine.
Il me serait impossible de vous décrire la teneur exacte des révélations auxquelles il accéda. Juste, je vous propose quelques particules élémentaires, une clé… Ecoutez.
Porfirio a fait la guerre d'Espagne, il fut un de ces républicains espagnols qui combattit l'engeance franquiste les armes à la main. Il y a plus de 70 ans de cela, il lutta pour notre liberté. Lorsque la guerre fut perdue, une colonne de réfugiés vint toucher la main de la France. Mais la main resta fermée, sauf l’index, jouant au majeur vulgarus se déploya en leur indiquant la direction du camp de concentration d'Argelès sur Mer. Qu’est-ce qu’on dit ? Merci la France ! Quand il rentre à Mauléon, pas de chance, c'est la seconde guerre mondiale. Vers la fin du mois de décembre 1939 avec d'autres réfugiés, ils furent victimes d'une rafle à l'hôtel de ville. L’index de la France désigna cette fois-ci, aux combattants de la liberté, le camps de Rivesaltes à Cravan. Qu’est-ce qu’on redit ? Merci la France !

Porfirio a 93 ans aujourd’hui. Avec Jeannette, ils ont eu 13 enfants et ça en boucherait le coin de certains qui sont débordés avec un ; suivez mon regard. Je pourrais continuer à vous narrer tout ce que Maurice découvrit, mais malheureusement le temps nous est compté ce soir. Les négociations pour que ce spectacle dure une éternité n’ont pas abouti.
Mais revenons à Maurice. Maurice resta stupéfait. Comment avait-il pu vivre si longtemps dans la totale inconscience de ceux qui vivaient si prés de chez lui, avec une histoire si luxuriante ? C’est la question qu’il se posait .
Quelques jours après il alla taper à la porte de son voisin Jef, le djeuns déluré. Disons-le tout de suite, l’expérience ne fut pas du même acabit.
Cette fois-ci, pas gouttière cassée et quand Jef le jeune ouvrit la porte, Maurice ne sût quoi dire. En fait il s’était laissé emporté par son enthousiasme. Il se dit qu'il aurait dû préparer son entrée en matière. Il bafouilla et improvisa néanmoins un : « Par hasard vous n’auriez pas reçu une lettre par erreur, parce que j’attends une lettre..." Il ajouta, en regardant par dessus l'épaule de Jef : "Mais c'est joli chez vous". En fait Maurice, à l'aide de son vaisseau spatial d'os de chair et de sang, voulait toucher cet autre côté de la galaxie. Mais Jef sortait du lit. Par conséquent, c'était un peu tôt et la civilisation de ce côté de la rue Gambetta n'était pas encore prête à un contact avec des étrangers super-extraterrestre. Maurice se dit qu’il allait falloir être patient, que toutes les zones cosmiques n’allaient pas se laisser introduire facilement, qu’il ne devait pas se précipiter.
Quoi qu’il en soit, il avait découvert quelque chose. Une porte s’était ouverte dans son crâne de faïence et Il savait que rien ne serait jamais plus comme avant. "L'homme n'a pas besoin de voyage, qui porte en lui l'immensité" disait Chateaubriand. Pourquoi cette phrase lue dans son enfance prenait-elle un sens particulier en ce 20 mars 2008 ? Il n'en savait rien. Mais il sentait que dans sa vie, le monde avait ouvert une brèche vers l'infini vers l’intérieur des choses, vers la petitesse et vers l’immobile mobile. Cet infini était à côté de chez lui et il avait la conviction que la vie ne faisait que commencer et qu'elle ne pouvait être qu'un éternel recommencement.



Texte lu le 12 avril 2008 lors de la soirée cabaret organisée par la ville de Mauléon et la compagnie Tokia. Le texte était accompagné par l’accordéonniste Jésus Aured.

P.S. : Jeannette et Porfirio existent, mais Maurice et Jef sont des personnages inventés. Il y a une partie historique et une partie romancé. Ce qui est "faux" est là pour déceler ce qui est vrai. Et ce qui est « vrai » est là pour déceler ce qui est faux. Mais surtout, ce texte, avec son vrai et son faux est là pour parler du beau, de tout ce qui nous échappe et de tout ce qu’on croit très loin et qui est souvent beaucoup plus près qu’on ne pense. L’infini serait-il au bout de la rue ? Je franchis ce pas et je l’affirme irrationnellement et sans preuve scientifique. Comme disait tonton Georges : « il suffit de passer le pont et c’est aussitôt l’aventure ».

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