samedi 23 mai 2009
Les soldats de Salamine
J'ai commencé ce livre comme on commence n'importe quel autre. J'ai flotté un peu vers le milieu, puis je l'ai fini en larmes, étonné moi même de m'écrouler sur la table. Il parait qu'il a bouleversé l'Espagne. Je ne m'en étonne pas.
C'est un peu comme un gars qui se tiendrait au dessus d'un étang et regarderait l'eau. A côté de lui, un autre gars lui dirait : "tu vois ce qu'il y a ?". L'autre ne voyant rien, approcherait sa tête de l'eau et dirait : "Non, je ne vois rien". Puis tout à coup, le gars, il lui foutrait la gueule dans l'eau en lui disant : "tiens et là, tu vois ?". Et qu'est-ce qu'il voit ? L'évidence même... De l'eau humide, comme dirait le chanteur Renaud. Même pas besoin de voir, d'ailleurs, il sent l'eau fraiche couler sur sa joue et ça lui fait une révélation, une révolution : "putain con, c'est vrai, l'eau est humide !" Tout cela pour dire qu'il y a des choses évidentes qu'il faudrait savoir, naturellement, avec sensualité. "Savoir naturellement" ... Tiens, ça ressemblerait à un oxymore. Car qu'est-ce que le savoir a de naturel aujourd'hui ? Pourquoi faut-il aller à l'école et apprendre des leçons gesticulées pour "savoir" ? Pourquoi ne suffit-il pas de vivre la vie pour savoir ? Bon bref, en tous les cas, Cercas nous met la tête dans la flotte et on goutte l'eau humide que l'on avait oubliée, absorbés par nos vies de plénipotentiaires, enrobés par les autoroutes dépressives du système capitaliste. On comprend alors que pour comprendre la vie, pour cerner l'histoire, il n'y a pas forcément besoin de bourrage de crâne. Quelques mots bien placés, une histoire, de la littérature, de l'art, du vécu, des vies, de l'expérience, de la rencontre et le talent d'un auteur. Justement, elle aussi, la rencontre, la pauvre, aspirée par la puissance imbécile, emportée dans les entonnoirs de la cuculture. Il y a TF1, Mac Do, la bagnole, le quad, les gadgets technologiques genre iPhone qui prennent la place de cette déesse qui humanise et qui rend vivant, La rencontre. Si on ne sait plus où se trouve la vie et la mort, il n'y a qu'à lire ce livre qui est un manuel pour les sourds & malentendants de ce monde moderne et en même temps archaïque.
Au fait, le livre : Javier Cercas, journaliste, mène une enquête au sujet d'un écrivain espagnol, Rafael Sanchez Mazas, un des fondateurs de la phalange qui réchappe du peloton d'exécution des troupes républicaines en 1939 et qui deviendra ministre de Franco. Mais qui a regardé Mazas dans yeux et n'a pas donné l'alerte et pourquoi ?
Ce livre est étonnant, d'abord, parce que c'est une enquête sous la forme d'un récit particulièrement bien écrit, comme on écrit un roman. Mi-roman, en fait, mi-enquête journalistique. L'auteur ne s'est pas contenté de raconter une histoire, il nous fait réfléchir à l'histoire, il nous met la tête dans l'eau de l'étang, puis miraculeusement nous transborde et nous secoue sans que nous nous y attendions. Eh ! Mince, de l'eau humide ! Le truisme mouillé nous saute à la gueule et à la fin de l'ouvrage on partage la souffrance, la présence de celui qui a donné sa vie pour la liberté. Liberté ? Qu'est-ce que cela ? la liberté, vous savez ? Mais la liberté, c'est comme la rencontre, le savoir... Dans ce monde archaïque, pseudo-moderne, on ne sait même plus ce que c'est, non ?
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2 commentaires:
"On ne regrette jamais d'avoir choisi le moment d'agir. Agir pour moi, ce n'est guère qu'écrire".
Colette.
C'est dingue comment un écrivain(e) en quelques lignes peut nous apprendre plus sur la vie qu'un historien qui va faire une thèse de 700 pages. Je suis persuadé que la vraie intelligence est celle qui arrive à faire la liaison entre l'analyse, le rationalisme, l'esprit scientifique et la poésie, l'instinct, l'art.
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